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Les fours à chaux de la région de Saint-Claude

Robert Le Pennec

Bulletin annuel N° 29 2006  Des  Amis du Vieux Saint-Claude (Jura)

L’auteur : Robert Le Pennec est membre des Amis du Vieux Saint-Claude et mène depuis de nombreuses années des recherches dans les domaines de la spéléologie, de la géologie et du patrimoine industriel. En particulier : Tuiles et tuileries du Haut-Jura, étude menée en collaboration pour le Parc Naturel Régional, publication Les Amis du Vieux Saint-Claude, bulletin n°24, 2001.

 

Les traces de fours à chaux sont nombreuses dans la montagne jurassienne. A travers la recherche de leurs restes et le témoignage des archives, c’est une partie de la vie des paysans haut-jurassiens  au XIXe siècle qui est évoquée et en particulier l’émigration temporaire. Mais, auparavant il nous semble utile de donner quelques informations générales sur la chaux et sa fabrication.

 

I - LA CHAUX : GENERALITES

 

La chaux doit être considérée comme un produit  naturel, puisqu’elle dérive du calcaire – roche bien représentée dans le Jura – par simple calcination (combustion à haute température) et hydratation.

 

Le cycle de la chaux : schéma

   

A. La chaux et l’histoire des hommes

Il est probable que l’ homme de la Préhistoire a découvert la chaux en  maîtrisant le feu.

Les pierres calcaires  qui entouraient ses foyers brûlaient et finissaient par se décarbonater donnant de la chaux vive. Puis la pluie tombant sur ses foyers, transformait la chaux vive ainsi hydratée en chaux éteinte. Mais l’homme préhistorique utilisait il la chaux ?

Les premières traces de fabrication de la chaux remontent à 10 000 ans environ. La plupart des peuples de l’Antiquité : Egyptiens, Etrusques, Phéniciens, Grecs, Romains l’utilisaient comme mortier. Les Romains étaient parvenus à améliorer la qualité de ce dernier en y ajoutant de la brique pilée.

Au XVIIIe siècle, l’anglais Black et le français Lavoisier décrivent les réactions chimiques conduisant à la chaux. Puis les savants Vicat, Debray et Lechatelier complèteront leurs travaux et permettront le développement de ses multiples utilisations dont le tableau suivant donnera une idée :

Production et utilisation de la chaux en 1988 en France :

 

Sidérurgie         1 590 000 T             51%

Agriculture       311 000 T             10%

Routes et

stabilisation des sols       301 000 T             9,7%

Traitement des eaux       207 000 T             6,7%

Exportation

(hors sidérurgie)  150 000 T             5,1%

Traitement des

métaux non ferreux       107 000 T             3,5%

Industrie chimique       105 000 T             3,4%

Matériaux de

construction et

bâtiment                   71 000 T             2,3%

Papeterie               69 000 T             2,2%

Epuration des fumées       38 000 T            1,2%

Carbure de calciom       35 000 T             1,1%

Divers                   105 000 T             3,3%

 

TOTAL               3 089 000 T             100%

B. Techniques artisanales de la fabrication de la chaux.  

  four artisanales

 Dans notre région, aux siècles passés,  la fabrication de la chaux a été essentiellement artisanale, comme le laisse supposer l’article suivant paru dans l ‘Annuaire du Jura en 1840 (page 309) :

“ Chaux commune ”

“ Cette matière si utile aux arts et surtout à l’architecture, s’obtient, comme chacun sait, par la calcination de pierres calcaires. Dans le département du Jura, dit à ce sujet M. Guyétant, on procède à cette calcination en faisant sur le terrain-même où se trouve des amas de pierres calcaires, des espèces de fours avec des branchages et de grosses perches destinées à la contenir, procédé qui coûte beaucoup de bois mais qui est d’un usage général. Les morceaux calcinés se débitent dès que le four est refroidi ; autrement il y aurait perte pour le propriétaire qui a calculé sur le temps le plus favorable à ce genre de fabrication. La chaux ne s’exporte guère hors de l’enceinte du département du Jura, si ce n’est pour le service de la plaine dans les département de Saône et Loire et de l’Ain. ”

Je me suis posé la question suivante : “ Comment faisaient nos anciens pour savoir si la pierre convenait à la fabrication de le chaux ? ” Sans doute procédaient-ils tout simplement par des essais, à partir desquels ils acquéraient le savoir leur permettant de reconnaître au premier coup d’œil le type de roche requis.

Les fours à chaux les plus primitifs correspondent à un travail artisanal. Le four est petit et il utilise au mieux la topographie et la nature du terrain sur lequel il est construit.

1) Le four gallo-romain ressemble beaucoup à celui du Moyen Age. Il est difficile sans matériel archéologique de faire la différence. Ce sont des fours en fosse ronde. Il semblerait que le four gallo-romain soit mieux construit. Le foyer et l’aire de chauffe sont bâtis en petits blocs calcaires assemblés par du mortier. Parfois ils peuvent être couverts par une petite structure en bois destinée les abriter des intempéries (exemples : Beaucourt, Grands’Combes dans le Jura suisse, canton du Jura).

2) Le four médiéval apparaît plus rudimentaire. Il utilise souvent la pente d’un versant pour creuser plus facilement le foyer et placer l’ouverture en contre-bas.

C. Techniques industrielles de la fabrication de la chaux

L’ encyclopédie de Diderot et d’Alembert nous apprend que dès la fin du XVIIIe siècle, les fours sont déjà solidement construits en pierres et briques .

Leurs dimensions sont plus considérables que précédemment : ils sont souvent sur plan carré de 4 mètres par 4 mètres et leur hauteur est de 8 à 10 mètres. On enfournait par le haut. Le foyer, à la base est construit en briques.

  four Diderot

À Saint George (Canton Vaudois), les fours de  Côte Malherbe datant de 1857 en donnent une image. Restaurés en 1991, ils ont été mis en marche la même année. Ils ont ensuite fonctionné entre le 16 et le 24 août 2003, grâce au chaufournier Paul Monney.

Aujourd’hui, en France, la chaux est produite en usine : ainsi l’usine Balthazard et Cotte à Poliénas (Isère). La surface de l’usine avec la carrière est de 24 hectares. L’usine possède 3 fours, emploie 27 personnes et produit 100 000 T par an. L’usine est accrochée au flanc de la montagne. Il n’y a pratiquement pas d’interruption entre la carrière et l’usine. Les blocs de calcaire sont concassés, triés et acheminés directement dans les fours par des tapis roulant. A la sortie des fours, la chaux est séparée en deux parties : la chaux vive et une partie qui sera hydratée ;  le tout est  conditionné en camions citernes,  big bags ou sacs. Le transport se fait par la route ou par chemin de fer ( la gare juxtapose l’usine).

Je tiens à remercier le directeur M Romanotto  pour son accueil et pour les explications fournies pendant la visite de l’entreprise.

     

 

 four aujourd’hui Poliénas (Isère).

II – LES FOURS A CHAUX DE LA REGION DE SAINT-CLAUDE

Un inventaire, des vestiges archéologiques, des ruines, complétés par divers documents d’archives permettent de donner une idée du nombre et du type de fours à chaux présents au XIXe siècle dans la région de Saint-Claude. 

 A.  L’inventaire des fours à chaux du Jura (1828-1947)

124 fours sont cités dans un inventaire effectué dans le Jura entre 1828 et 1947. Il a pu être établi à partir des déclarations dont devaient faire l’objet les fours temporaires et des autorisations nécessaires à la création de fours permanents, déposées auprès des communes, de la préfecture, et de l’administration des Eaux et Forêts.

Ainsi en 1880, aux  Fraîtes (commune de Valfin), Mr Gauthier Séraphin déclare la  construction d’ un four à chaux temporaire près de sa maison qui a besoin d’être réparée.

La même année aux Perrières( quartier du Grand plan, commune de Saint-Claude), Monsieur Dumont Eugène demande l’autorisation d’installer un four à chaux permanent afin de profiter des déblais des carrières municipales et privées. Là, la construction est plus aboutie et la chaux est revendue.  Très souvent de tels fours sont alimentés au charbon.

Outre ces deux installations, l’inventaire en signale d’autres :

1)  Sur le territoire de la commune de Saint-Claude :

1807  - Reymond (Combe de Tressus) – four temporaire

1880 -  Amy (Le Finet) - four temporaire

1882  - Roy Louis (Très Bayard) – four permanent (voir ci-dessous)

De plus les archives municipales nous apprennent qu’en 1736 Humbert Romand des Champs de Bienne eut un procès avec la Ville de Saint-Claude au sujet de coupes de bois effectuées sur le territoire communal.

2)       Dans les communes voisines :

Chassal : 1882 - Cautez Julien de Molinges (au lieu dit “ Scierie de Molinges) demande l’autorisation  d’établir un four permanent pour utiliser les débris de coupes de bois, le 7avril 1882.

Leschères :1892  - Bourgeat Jules, cultivateur à Leschères, demande l’autorisation d’établir un four permanent qui sera chauffé au charbon au lieu dit Sur la Ville.

Chaux des prés :1892  -déclaration de 3 fours à chaux temporaires

 B. Les vestiges de terrain des fours artisanaux

Si les fours à chaux industriels du XIXe siècle sont souvent bien conservés et debout, ce n’est pas le cas pour les fours plus anciens en cuvettes. Ils ne sont pas très spectaculaires et difficiles à repérer sur le terrain. Mais une fois l’œil averti, on commence à en trouver partout, en forêt notamment. Par exemple à Château des

Prés, nous en avons repéré trois le même jour.

Dans les bois on observe souvent autour de l’ancien four un anneau de pierre d’au moins un mètre d’épaisseur et d’un peu moins d’un mètre de hauteur.

Quant aux fours à chaux se trouvant dans les prairies et les zones cultivées, ils ont fréquemment été arasées par le remembrement , les pierres supérieures ayant été enlevées. La forme en cuvette circulaire, si elle est préservée dans la topographie peut se confondre aisément avec une forme karstique,  une doline de petites dimensions : 3 à 5 mètres de diamètre et 0,5 à 1 mètre de profondeur. Alors, seul un sondage peut confirmer leur présence, s’il permet de trouver des débris de chaux et au fond des traces de charbon.

Pour orienter les recherches sur le terrain, les noms des lieux dits ou les traditions orales locales apportent des indications intéressantes, que les procès et les actes de propriété conservés aux archives dans lesquels les fours sont souvent mentionnés. Ainsi dans la Combe de Tressus, un acte de contentieux daté de 1788  signale 3 fours en limite de propriété (archives municipales de Saint Claude).

B. Histoire d’un complexe industriel ancien : l’usine à chaux lourde et ciment de Trébayard

    

Photo Four Trébayard

 

PLAN 

1)     En 1886, quatre ans après son installation, l’Abbé Bourgeat , après l’avoir  fait visiter à la Société géologique de France, écrit à son propos :

“ Un plan incliné des plus commodes et des plus sûrs, des fours variés, des appareils de broyage excellents font de son usine une des plus remarquables qui existent. Aussi pendant la dernière course que la Société géologique de France a faite dans le Jura, plusieurs des Ingénieurs des Mines présents se sont-ils détournés de la voie que l’on suivait pour aller aux Pontet, afin d’examiner de plus près l’outillage de Monsieur Roy. Je n’ai pas besoin de dire qu’ils en sont revenus très satisfaits, tant à raison de l’excellence de cet outillage que de la façon cordiale avec laquelle ils ont été reçus.

Une première analyse approximative des ciments de Trébayard a été faite il y a quelques années par mon regretté collègue  à la Société Géologique de France, Emile Benoît. Ce travail a été repris avec plus de soin depuis cette époque par M. l’Ingénieur Carnot de l’Ecole des Mines, et voici les résultats auxquels il est arrivé :

 

Silicate                         14

                Alumine                        7,4

Peroxyde de fer              3,3

Chaux                   36

Magnésie                        3,9

Perte par calcination         35,8        Pour 100.

Ce qui correspond à peu près à 24% d’argile sur 76 de calcaire, chiffres très voisins de ceux que l’on regarde comme typiques des ciments lents. Les meilleurs en effet de ces ciments sont obtenus avec des marnes, où la proportion de l’argile au calcaire varie entre 25/75 et 21/79 sur cent. ”

(Bull. de la Soc. d’Agric., Sc. et Arts de Poligny 1886 n°7 p.193-197)

2) Ensuite son évolution se suit à travers les procès verbaux de visite des mines conservés aux archives départementales :

 

-  1893 : L’usine a de nouveaux propriétaires :  Augustin Berthod et Alfred Maitrugue.

Une galerie de 6 m hauteur exploite 2 bancs calcaires de 3 m chacun. C’est la seule carrière souterraine du Jura. Le personnel est composé de 3 ouvriers. La production est de 1200 tonnes  de chaux par an.

Remarque : Barthod est un grand propriétaire : scieries à Mijoux, scieries au Pont du Diable, Comptoir de vente des chaux et ciments à Belley (Ain), Comptoir de vente des chaux et ciments du bassin de Virieu le Grand,de la Savoie et du Jura, commerce de bois (maison à Bourg), associé de la Maison Duvanel  fabricants de chaux et ciments à Moiraigne ( Suisse).

 

-  1896 :  extensions de l’entreprise. La carrière souterraine possède 3 galeries (longueur : 36 m, 52 m, 56 m ; largeur : 5 à 6 m ; hauteur : 6 m). On se sert de poudre de mine pour exploiter le calcaire La production est de 4000 tonnes de chaux et le personnel est de 5 ouvriers. Deux fours fonctionnent de 70 m3 chacun.

   

-  1898 : Une nouvelle galerie permet de faire la jonction entre les galeries supérieures et la galerie inférieure, ce qui fait que le calcaire est exploité sur 12 à 13 m de hauteur. La pierre est sortie par la partie inférieure puis amenée par un plan incliné sur deux fours anciens (usine du site supérieur). Une nouvelle usine (site inférieur) a été créée à l’aide de dynamite (40 kg). Pour l’alimenter un câble aérien de 65 m de longueur pour 150 m de dénivelée a été posé.  Quatre sapins entretoisés portent des poulies sur lesquelles passent le câble. Il permet de descendre une caisse en tôle d’un demi-mètre cube qui arrive sur quatre fours de 25 à 30 m3 chacun. Des silos peuvent emmagasiner 4 à 5000 tonnes de chaux.

La force pour les broyeurs est fournie par une turbine qui a servi à une scierie de bois ( hauteur de la chute 65 m)

     

Photo  papier à en tête  Usines de Trébayad.

Le chanoine Bernard Secret dans ses notes d’histoire sanclaudienne (Le Courrier, année1963) donne la raison de la création de l’usine inférieure : la venue du charbon.

“ Car précédemment les fours à chaux…étaient chauffés au bois. Et Trébayard était bien placé à cet égard, au pied des prés-bois de Trélasive, dont nous avons parlé. Mais avec le chemin de fer, amenant désormais le charbon jusqu’à Saint-Claude, il était plus facile de chauffer et d’augmenter le rendement industriel. Pour éviter de monter le charbon depuis le bas de la rue Christin jusqu’à Trébayard, Berthod avait jugé plus rentable de transporter les fours à chaux antiques, quelques centaines de mètres plus bas, au Pont du Diable. C’est donc le charbon moderne qui a fait redescendre les fours. ”

3) Le début du XXe siècle est marqué par de nouvelles transformations tôt suivies du déclin.

- 1900 : Barthod s’associe à Duret

- 1906 : Berthod est seul propriétaire. Le 19 janvier 1906 il adresse une lettre à la commune Saint-Claude demandant l’ouverture d’une carrière à ciel ouvert et déclarant la cessation de l’exploitation de la carrière souterraine. Il est précisé que la carrière sera située à plus de 100 m de toute habitation, à 80 m des bâtiments de l’usine et à 450 m de la route.

- 1910 : c’est le déclin. Dans une lettre du 31 décembre 1910, Henri Dervant, alors  seul propriétaire, informe la municipalité de Saint-Claude de la cessation complète de fabrication de chaux à l’ usine de Trés Bayard et, en conséquence, demande la suppression de la patente pour l’année 1911.

Que peut -on voir encore sur le site aujourd’hui? La carrière, les socles des pylônes, l’ usine supérieure, les deux fours supérieurs, les fours inférieurs, l’ usine inférieure, le pont, l’arrivoir, la turbine.

     

Plombs de sertissage des sac de chaux issus de l'usine de Trébayard.

  

III. FOUILLES ET RECHERCHES RECENTES A VALFIN-LES-SAINT-CLAUDE

Les fouilles et les recherches concernent l’ancienne commune de Valfin autrefois réputée pour ses chaufourniers et qui, dans son hameau des Prés, possède un four.  

A. La fouille du four des Prés de Valfin

Les vestiges du four, actuellement situé sur la commune de Saint-Claude (cadrastre 541 ZA –110 A et B), sur un terrain appartenant à Mme Monique Bourgeat (épouse Carrard), nous ont été signalés le 23 04 2004 par Odile Pitton (elle-même descendante des Bourgeat). Les fouilles se sont déroulées du 24 septembre 2004 au 24 octobre 2004 pendant les trois week ends (autorisation n° 2004 / 147délivrée par le Service Régional d’Archéologie  pour l’association Jura Patrimoine). Ont participé aux fouilles :

-Jura Patrimoine : Robert Le Pennec, Aldric Le Pennec.

-Amis du Vieux Saint-Claude : Michel Jeantet, Salvator Bollogna, Véronique Rossi.

-Musée d’archéologie du Jura : Marie Jeanne Lambert, Benjamin Lambert, George Lambert, Aude Leroy, Sarah Cremer, Sébastien Durost.

-Archéologue cantonal suisse : François Schifferdecher.

-Particuliers : Mme et Mme Roy Bernard.

Nous avons choisi de fouiller le four des Prés de Valfin pour les raisons suivantes :

- la partie supérieure semblait être conservée : le four se signale dans la topographie par la butte

- il est situé au bord d’un chemin, donc facile d’accès,

- il se trouve en plein champ, donc pas de racines d’arbres pour entraver les travaux,

- il est présent sur un terrain privé dont  les propriétaire ont  bien voulu accepter la fouille.

- enfin les Prés de Valfin sont le hameau dont est originaire la famille Bourgeat, qui compta  plusieurs générations de chaufourniers.

Description de la coupe du four de bas en haut :

(1) Le four repose sur les marno-calcaires de l’ Argovien (étage du Jurassique supérieur) et se signale dans la topographie par une butte.

(2) Il consiste en un anneau de terre marron avec gros blocs épars de calcaire délimitant une cuvette de 6 à 8 mètres de diamètre.

 (3) Sur les parois de la cuvette on observe, côté extérieur, des traces de charbon et, côté intérieur, un revêtement de chaux rubéfiée d’environ, 4 à 5 centimètres d’épaisseur. Au fond on trouve 5 et 10 centimètres de charbon de bois constitué de brindilles (3 bis).

(4) La zone de chauffe était remplie de chaux grasse, blanche, avec des zones verdâtres. Sur un des côtés, au nord ?, il y a une ouverture (0,40m par 1m de dimensions) dont les parties supérieure et inférieure sont constituées de grandes dalles de pierre inclinées vers l’intérieur (4 bis).

(5) La partie supérieure du four consiste en une voûte de petites dalles de 15 par 20 à 30 centimètres et de 5 centimètres d’épaisseur, inclinées à 45° vers l’intérieur du four. Les dalles sont posées sur un mortier  ou une zone rubéfiée qui peut être aussi le rebord d’un ancien four.

(6) Le four était fermé par un dôme de terre et d’argile, détruit à chaque utilisation, et posé à côté du four.

 

 coupe du four PRE DE VALFIN

Deux problèmes :

La couche (3) correspond-elle à la trace d’un ancien four, comme le suggère la présence, du côté extérieur au four, contre la couche (2), de trois à quatre millimètres de charbon ? Ou bien s’agit-il  d’un enduit posé lors de la construction du four qui aurait durci lors des cuissons de la chaux, les quelques millimètres de charbon résultant alors d’un feu allumé lors de la préparation de la fosse ?

Par ailleurs l’ouverture qui avait peut être servi lors de la mise à feu du four s’est révélée avoir été abandonnée et comblée lors des cuissons suivantes. La fermeture semble tout à fait hermétique. Pendant quelques temps, les chaufourniers ont peut être imité ce qui se pratiquait en Suisse. Nous n’avons pas trouvé de deuxième ouverture à l’opposé de l’évent (4bis). Il semblerait que ce modèle de four plus rudimentaire était le plus couramment utilisé.  

 

Nous remercions Monique Carrard, propriétaire, d’avoir accepté la fouille, Monsieur Duffourg Michel, adjoint au maire de la commune, Madame Thérèse Brunet des Prés de Valfin, la famille Bourgeat et Monsieur et Madame Javouret de Leschères pour leur visite sur le terrain des fouilles.

B. Les chaufourniers

Les Amis du Vieux Saint-Claude possèdent deux carnets de chaufournier ; ce sont ceux d’  Alexis Vuillermoz de Valfin (1839 – 1855) et d’ Onézime Bourgeat (1869 – 1876) des Prés.

Le village de Cinquétral avait aussi de nombreux chaufourniers comme l’attestent “  les passeports pour l’intérieur ” ( Police Générale de l’Empire) – année 1810. Ils avaient déjà été signalés par le Général Vautrey dans le Bulletin des Amis du Vieux Saint-Claude n° 7 – 1984 – p 25 : “ Ceux de Cinquétral vont s’employer aux fours à chaux et aux chemins ” Très souvent  les chaufourniers s’employaient aussi à la construction des murs et autres travaux.

1) Les carnets  

 carnet de Onézime Bourgeat

Un carnet comporte le signalement du chaufournier (identité), le lieu de son travail et le nom du commanditaire, la certification du maire de la commune d’origine pour le déplacement du chaufournier (aller et retour), enfin une note d’appréciation du commanditaire sur le travail effectué, qui précise aussi la période de travail.

Chaque mission du chaufournier est inscrite sur le carnet, ainsi Onézime Bourgeat a travaillé essentiellement dans le Val de Travers en Suisse (canton de Neuchatel) de 1869 à 1876.

2) Le contrat de travail.

Les chaufourniers reçoivent des contrats de travail datés, portant mention outre du nom du commanditaire, de celui de la commune où seront construits les fours. On sait ainsi que les Bourgeat des Prés de Valfin ont été chaufourniers en Suisse dans le Val de Travers (Saint Sulpice, Malmont près de Couvent, paroisse des Bayards, Butte, Boudy, Fleurier) et près de Nyon (Arzier le Muids)

 

Photo F.R.Bourgeat et maison Bourgeat

Dans le contrat sont également précisés le nombre de fours à chaux à construire, leur contenance, la nature et le lieu de provenance du bois à couper et à utiliser, le lieu d’extraction de la pierre, le salaire.

Exemple d’un contrat de travail :

Arzier le Muids 1862 (Nyon)

Sur la montagne des Bioles et d’Arzière

Conditions pour la confection d’un four à chaux à l’Arzière – 12 mai 1862 :

Art 1 : L’entrepreneur François Amédée Bourgeat s’engage à confectionner un four à chaux à la Montagne de l’Arzière sur l’emplacement qui lui sera désigné par la municipalité ou ses délégués.

Art 2 : Ce four devrait avoir pour dimensions, 10 pieds de diamètre  à la base, sur au moins huit pieds de hauteur, à partir du niveau du sol ou de la base au sommet.

Art 3 : L’entrepreneur travaillera à la confection du four en question sitôt que celui des Bioles sera cuit et débité et devra continuer ce travail sans interruption jusqu’ à complète cuisson de la chaux.

Art 4 : Il coupera proprement les bois qui lui auront été désignés pour cuire le four ; il fera en sorte de ne couper que la quantité nécessaire à cet effet.

Art 5 : Dès que le four à chaux sera construit, la Municipalité pourra vérifier les dimensions pour s’assurer si elles sont conformes à l’article 2 des présentes ; elle s’assurera aussi  par elle – même ou par délégation, si la chaux est bien cuite et bien conditionnée.

Art 6 : Après que les travaux seront complètement terminés et reconnus faits de toutes manières, au contentement de la Municipalité, il sera payé à l’entrepreneur, par la Commune pour ce travail, la somme convenue entre  parties, de cent cinquante francs.

Art 7 : L’entrepreneur est responsable de tous dommages intérêts envers la Commune, dans le cas de non exécution des présentes conditions.

Signé F A Bourgeat

Pour extrait conforme au registre  p 463, à la date du 12 mai 1862, attesté à Arziers, le 7 juin 1862.

3)       Correspondance entre chaufourniers émigrants temporaires et leur famille :

De nombreux courriers conservés par la famille Bourgeat nous donnent des informations sur la vie quotidienne tant en Suisse qu’en France.

Exemple : Fleurier le 23-9-1855 (mon adresse est à Fleurier chez le père Rosselet)

Cher fils

“ Je te fais part de ces lignes pour te dire que nous sommes arrivés à bon port et que nous nous portons tous bien Dieu grâce je désire de tout mon cœur que la présente vous trouve de même. Depuis notre arrivée nous avons chance d’avoir le beau temps. Nous avons passablement avancé cette semaine si le temps peut continuer nous pensons de mettre le feu mardi prochain en huit. Depuis que nous sommes dans ce pays voici quelques jours que la maladie de la pomme de terre se manifeste avec rapidité, je désirerais savoir si cela est la même chose dans notre pays. C’est pourquoi je profite avant ton départ pour avoir une réponse pour Dimanche prochain comme nous ne dessandons que le dimanche a cause de l’éloignement et que nous n’avons plus que comme je dis dimanche prochain avant de mettre le feu. Tu tâchera de nous réecrire dessuite, tu me diras si vous avez racheté un beuf et si comme je pense vous avez arraché les pommes de terre des combes avant ton départ. Tu me diras si tu as trouvé une mâle pour mettre tes effets. Je pense que tu partira samedi prochain, tu pourras dire à l’oncle Onézime d’aller avec toi si cela ne le gênait pas pour  la mâle. Tu pourrais la faire dessandre à St Claude par occasion et l’adressé par une étiquette chez Mr Clément Instituteur à Moirans et tu pourrais en t’informant du prix je crois qu’il ne t’en coutera pas plus en partans depuis St Claude avec ta mâle et par ce moyen tu n’aurais pas besoin de personne avec toi parce qu’un voyageur peu avoir un paquet de tans pesant avec soi. Je pense de m’en retourner dès aussitôt que ce chaufour sera prêt. Je t’irez voir le premier dimanche de mon arrivée, je n’ai pas le temps de t’en dire d’avantage. Tu préviendra Mr le Curé de ton départ enfin tu me diras si vous avez bien fini de moissonner. Rien d’autre à vous dire qui mérite votre attention. Je finis en vous embrassant tous de cœur et d’affection.

Fs Ris Bourgeat

Tu me diras aussi si la maladie du betaille se fait sentir dans notre localité. Tu diras à la femme de Perrier qu’elle mène sa vache à la foire du mois prochain et si elle trouve à le vendre à la maison qu’elle le fasse. Je pense que nous serons à la maison contre le 19 du mois prochain si on est pas contrariés. Il sera encore assez vitte pour arracher les pommes de terre. Je n’ai pas plus de place pour t’en dire davantage mais nous désirons bien savoir si les pommes de terre gatent.

Exemple 

Lettre : aux Prés de Valfin le 5 juillet 1863 :

Mon cher père

“ Nous avons bien des maux pour finir de semer à cause du mauvais temps…. nous n’avons pas ressemé le champs de  Sur La Côte ….que nous avons planté les choux et que nous avons re bêché les pommes de terre du  Tardieux que nous avons tout rempli et des Combes aussi… nous n’avons pas fait la tourbe mais nous ne sommes pas les seuls…je vous dirais que j’ai quitté l’école sur la fin avril et que je n’ai seulement recommencé que le 10 juin…il y aura du foin, mais les blés seront retardés, on on peux encore rien dire, seulement si le mauvais temps continu, ils sont perdus parce que l’eau les cuit et les remplie d’herbe…. ”

je suis pour la vie votre affectionné fils.

 Félicien Herman Bourgeat

Ajoutons que la poste de Valfin-lès-Saint-Claude est mise en cause au cours d’une séance du conseil municipal de Valfin. Le 7 août 1864 il lui est demandé d’assurer une desserte plus régulière.  Les lettres qui arrivent le dimanche ne sont distribuées que le mardi suivant. Ce retard impute des pertes de marché pour les chaufourniers qui vont dans l’Ain, le Doubs et même en Suisse.

CONCLUSION

Aux siècles derniers, la fabrication de la chaux a donc suscité dans la région de Saint-Claude une émigration estivale vers la Suisse voisine. De part et d’autre de la frontière, elle a été essentiellement artisanale et s’est effectuée sous des formes temporaires pour répondre à des besoins locaux de construction et de réparation de murs.

C’est ainsi que dans les fermes et habitations du Haut Jura, la chaux est présente sur toute l’épaisseur des murs :

1 – dans le ciment qui assemble les pierres : il s’agit d’un mortier de chaux avec cailloutis ou sable à grains grossiers et anguleux.

2 – dans le crépi grossier constituant une première couche de revêtement (3 mm d’épaisseur) : la chaux cimente un crépi grossier avec le sable tamisé à petits grains anguleux (il est possible que pour les maisons situées le long des rivières, les élément soient arrondis),

3 – à l’état d’une seconde couche de revêtement de couleur blanche (1 à 2 mm d’épaisseur) ,

4 –diversement teintée dans le badigeon extérieur : en rose souvent ( exemple maison de Montbrillant, probablement une ancienne auberge qui était située à la fin de la route et en face du chemin des moines), en vert ou d’une autre couleur sur les entourages de fenêtres, de lucarnes et des autres petites ouvertures. Ces colorations peuvent prendre l’aspect de faux appareillages soulignés en rouge ou blanc. A Montbrillant elles dessinent un décor en carrés où figurent des formes géométriques dont certaines en cercles.

     

 Montdrillant 1 et 2

 

Remerciements :  Véronique Rossi,  Monique Carrard, propriétaire aux Prés de Valfin, Marie Jeanne Lambert, DRAC : Bruno Breart, JL.Odouze, Annick Richard, les fouilleurs,  Monsieur Le Directeur de l’Usine de Poliénas, Annie Reffay,  Mme Piton et la famille Bourgeat

Bibliographie

Sources manuscrites

Archives privées de la famille Bourgeat 

Documents divers prêtés par Mme Piton

Archives départementales du Jura

Série M (Administration général et économie du département 1800 – 1940)

Direction Régionale des Affaires Culturelles, Besançon 

Forestier F., Saint-Amour découverte d’un four à chaux, lettre du 4 novembre 1977.

Archives municipales de Saint-Claude

Fond ancien :

“ Plan géométrique du terrein  contentieux entre Jean Etienne Gruet Masson, dit Gaspard, de Septmoncel, demandeur, d’une part,  et Jacques Joseph Pernier, de Tressus, défendeur, d’autre part, le terrein appelé  en Combe d’Argier ou la Magnine ” dressé par le sieur Molard, géomètre de la Grande  Judicature, 1788, coul, 79 x 50 cm.

Passeports de l’intérieur pour les communes de Saint-Claude et Cinquétral.

Livret de chaufournier d’Alexis Vuillerrmoz de Valfin  1839 – 1855.

Livret de chaufournier d’Onézime Bourgeat de Valfin 1869 – 1876.

Ouvrages consultés

Aschenbrenner M., C. Brossier, G. Chéron, R. et J.–P. Hamonière , Les fours à chaux de la Région Dunoise ,  Bulletin de la Société Dunoise 28200 Châteaudun, N° 288, p. 7 à 29, 1998.

Beauvais M. Robic Y., Restaurer, décorer à la chaux, Savoir - faire traditionnels, Le Grand Livre du Mois, 2003.

Bernadi P., Métiers du bâtiment et techniques de la construction à Aix-en-Provence à la fin de l’époque gothique (1400-1550), Publications de  l’Université de Provence, 1995.

Billoin D., Lavancia Epercy (39) “ En vignolle ” site 39 44 06 Document de synthèse de sauvetage urgent, Direction des Affaires culturelles, Service Régional d’Archéologie de Franche Comté, Association pour les fouilles archéologiques Nationales, Février 2000.

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Bourgeat  Abbé, L’usine à Chaux lourde et ciment de Trébayard, Revue agricole, Société d’agriculture de Poligny, 1986.

Cantrelle S., Magnin M., Paquier M., La fouille de sauvetage de Goux-les-Doles, l’occupation antique et du Haut Moyen Age entre la Forêt de Chaux et La Clauge, Travaux, Société d’Emulation du Jura, 1988.

Choël F., Les témoins d’occupation protohistorique et l’établissement gallo-romain de Quintigny (39) “ Champ de Mont ” et Ruffey-sur-Seille (39) “ La Vauchère ” 39 447 6,  P. 97, AFAN Antenne Grand Est , 1996 .

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Sites Internet

www.balthazard.com

www.la-chaux.net

www.ecole-avignon.com/technique/types-chaux.htm

www.stgeorgevd.com

www.socli.fr